Nouvelle
chronique et nouveau docteur ! Ici il n'est plus question de
tyran enlevant des enfants pour assouvir ses fantasmes mélomanes.
Place à l'être suprême qui guérit les cœurs et les âmes, qui
change d'apparence et opère dans un cirque qui est plus grand à
l'intérieur qu'à l'extérieur. Non ce n'est pas Doctor Who mais
bien le Docteur Lao !
Avant
de parler du film sorti un an après que le plus célèbre des
Seigneurs du Temps apparaisse sur les écrans britanniques, soit en
1964, il nous faut nous attarder sur le support originel paru en
1935 : le livre Le Cirque du Dr Lao de Charles G. Finney.
En effet, l'adaptation cinématographique est beaucoup plus légère
et la fin plus joyeuse que dans le livre. Le Docteur Lao est en
réalité le héraut d'un dieu ancien nommé « Yottle »
(sans doute une référence à Yaotl) qui emmène son cirque peuplé
de créatures mythologiques de ville en ville afin d'accomplir des
rituels païens et des sacrifices. Contrairement au film, il n'y a
pas de fin heureuse pour les amoureux puisqu'ils sont tués pour
célébrer Yottle et le reste des citoyens d'Abalone quitte leur
ville et se disperse dans le désert qui les entoure. On est loin du
film enjoué de George Pal. Mais l'adaptation est tout de même
empreinte de cynisme et de mysticisme.
La
ville d'Abalone est une ville américaine typique du début du XX ème
siècle. Cette petite communauté semble vivre confortablement de ce
qu'elle tire de la terre mais elle reste tout de même éloignée de
tout. Clinton Stark (magnifique Arthur O'Connell) veut racheter les
terres de tous les habitants afin de leur offrir une chance de vivre
dans de meilleures conditions (et pour cause, la voie ferrée va
passer par Abalone et les terres seront beaucoup plus chères à son
arrivée, mais il se garde bien de le dire à ses concitoyens). Seul
le journaliste Edward Cunningham s'oppose à son projet et n'hésite
pas à le dire dans son journal tous les jours malgré les menaces de
Stark. Cunningham est l'archétype même de l'homme sûr de lui, qui
suit ses principes et est terriblement honnête, y compris avec la
femme qu'il aime : la veuve Angela Benedict (Barbara Eden,
surtout connue pour son rôle du génie Jinny dans Jinny de mes
rêves) qui refuse ses avances.,C'est dans ce contexte qu'arrive
un singulier personnage à dos d'âne : le Docteur Lao. Dès sa
première apparition les spectateurs comprennent qu'ils ont sous
leurs yeux un être magique puisqu'il allume sa pipe en utilisant ses
doigts comme pierre à briquet.
Les
spectateurs sont face à un film qui double les genres : le
western et le fantastique. C'est la notion de dualité qui
caractérise ce film. Il y a deux faces qui, comme pour le miroir
d'Alice, dévoilent deux mondes distincts qui se répondent. Ce qui
se passe au cirque a une répercussion dans la ville d'Abalone et
vice versa. Les habitants trouvent dans les attractions présentées
par le Docteur Lao, une métaphore de leur propre personnalité qui
leur montre qui ils sont réellement. Appolonius de Thyane dévoile à
Miss Cassan, la vieille fille trop coquette, que tous ses efforts
sont vains et qu'elle finira seule. Pan libère les pulsions
amoureuses d'Angela Benedict qui refuse les avances de Cunningham
par respect pour son défunt mari. Méduse pétrifie Madame
Lindquist, la mégère qui tyrannise tout le monde. Elle ne doit la
vie qu'à Merlin qui, en lui rendant forme humaine, lui enlève son
cœur de pierre. Stark se retrouve face au Grand Serpent qui lui
démontre à quel point l'homme lui est inférieur puisqu'il a besoin
de vêtement pour ne pas avoir froid, il a besoin de lunettes pour y
voir... Stark qui se croit supérieur car en dehors d'une cage ne
voit pas qu'il est également enfermé, ses barreaux lui sont juste
invisibles. La ville tout entière se retrouve face à la mise en
abîme de sa propre histoire puisque le Docteur Lao leur raconte la
fin tragique d'une ville antique prospère qui se retrouva détruite à
cause de la cupidité d'un homme. Une fois que chaque habitant
d'Abalone réussit à surpasser ses défauts, ses peurs, et que la
ville est sauvée grâce au repenti de Stark, le Docteur Lao, Mary
Poppins asiatique, quitte la ville sans un adieu.
Figure
mystique et mystérieuse, le Docteur Lao est lui aussi un parfait
exemple de la dualité grâce à l'interprétation de Tony Randall.
Cet étrange personnage semble au premier abord être le stéréotype
du chinois avec son accent bizarre que l'on peut retrouver dans les
interprétations de Mickey Rooney dans Diamant sur canapé
de Blake Edward ou pour les plus franchouillards d'entre nous, dans
les sketchs de Michel Leeb. Et pourtant. Lorsqu'il se met à discuter
sérieusement, il change du tout au tout. Plus d'accent, plus de
phrases mal construites. Le Docteur Lao s'exprime dans un anglais
irréprochable. Le stéréotype n'est qu'une façade, un déguisement
qu'il porte en plus de ceux de ses attractions. En effet, si il part
comme Mary Poppins, il se comporte comme n'importe quel super-héros
puisqu'il n'est jamais présent en même temps que son attraction:il
sort lui-même du cadre avant que la caméra ne change d'angle. Elle
pourrait le laisser tel quel dans le plan précédent, mais non, il
doit sortir d'abord avant de poursuivre la narration. Ainsi ce n'est
pas un hasard si chaque créature révèle la véritable nature de
certains habitants puisque le Docteur Lao interagit avec eux avant
l'ouverture de son cirque. Il voit leurs défauts, et devine quel
personnage pourrait les débloquer mentalement et leur permettre
d'atteindre une certain sérénité dans leur âme.
On
est donc loin du sacrifice et de l'exode proposés par le livre de
Charles G. Finney. Mais si Le Cirque du Docteur Lao
n'est pas aussi sombre que l’œuvre originelle, il n'en reste pas
moins un très bon film qui non seulement divertit mais aborde aussi
différents thèmes comme le changement dans la société américaine
et l'évolution que cela inclut (thème cher à Sam Peckinpah que je
recommande fortement), la solitude sous toutes ses formes, la liberté
de la presse, le racisme... Que l'on soit un enfant ou un adulte, on
ne peut qu'apprécier de voir autant de poésie et d'humour dans un
film qui traite de thèmes aussi sérieux.
N'hésitez
pas, ce film est un petit bijou qui mérite d'être vu. Qui plus est,
l'équipe qui gravite autour n'est composée que de talents que ce
soit les scénaristes Charles Beaumont (Le Masque de la Mort
Rouge de Roger Corman et Brain
Dead de Peter Jackson) et Ben Hecht (Scarface
de Howard Hughes, La Maison du Docteur Edwardes
d'Alfred Hitchcock), le compositeur Leigh Harline (qui a travaillé
pour les studios Disney de 1933 à 1941 et qui a créé la musique
L'Homme de l'Ouest d'Anthony Mann, entre autres), le
responsable des effets spéciaux Jim Danforth (qui travailla avec
l'excellent Ray Harryhausen sur Le Choc des Titans), le
maquilleur William J. Tuttle (qui était responsable des maquillages
de Chantons sous la Pluie de Stanley Donen et Gene
Kelly, La Mort aux
Trousses d'Alfred Hitchcock et Frankenstein
Junior de Mel Brooks), sans parler du réalisateur/producteur
George Pal qui a dirigé Les Aventures de Tom Pouce,
Les Amours enchantées et La Machine à explorer
le temps et produit Le Choc des mondes de
Rudolph Maté, La Guerre des Mondes de Byron Haskin et
Doc Savage arrive de Michael Anderson.
Une
équipe de choc aux nombreuses qualités, c'est la base pour
créer un bon film et Le Cirque du Docteur Lao en a une
excellente. A vos écrans et profitez du spectacle !